Ma toute puissance…
Ma force pure, l’essence de ma vie.
Du plus loin qu’il m’en souvienne, j’ai toujours eu
conscience de mon «moi» profond, de mes capacités, de mon pouvoir
de vivre à l’extrême.
Il y avait bien une satisfaction émerveillée lorsque je recevais
les mots de ma mère, ma petite dernière,
elle a toujours été une enfant si sage qui jouait toute seule dans son coin,
sans rien demander, sans problème. J’avais, j’ai toujours, lorsque
j’entendais cette phrase, le sentiment d’être forte, claire, limpide, comme un
cristal qui est plein de lumière, comme un petit bijou à part…entière !
J’ai cultivé cette solitude pour qu’elle soit reconnue,
qu’elle me fasse étonnante, remarquable mais aussi insondable, inaccessible,
solitaire dans mes choix personnels.
Et je me suis presque toujours entourée d’êtres qui vivent dans la réalité de
la toute puissance. J’ai appris à me composer selon leur désir, je me suis
livrée à eux dans une soumission sans conteste. Ils disaient, je faisais, et
surtout je m’évertuais à faire le plus exactement possible, le plus
parfaitement, pour eux, pour aller vers eux, être liés à eux.
Le premier cadre a été dans ma famille, à laisser mère et
sœur me vêtir comme bon leur semblait, me modeler à l’image d’une petite fille
fragile et délicate, qui est souvent malade, que l’on orne de jolies nœuds bleus comme une
poupée que l’on montre ensuite sagement assise dans sa chaise miniature. Elles
m’ont appris à elles deux tout l’art de la féminité… mais seulement dans les
apparences.
Adolescente, je connaissais parfaitement ce qu’il y avait dans les
regards qui se posaient sur moi lorsque je traversais la cour du lycée, vêtue
de mon grand manteau façon haute couture, avec des petits talons, les cheveux
longs ramenés en un chignon qui rehausse la nuque. Il suffisait alors que je
les croise avec mes yeux ouverts sur mon âme, pour les emmener chacun dans ma
profondeur intime, pour leur donner une fenêtre sur mon intérieur et pour susciter l'admiration.
Et puis j’ai choisi de partir loin d’elles, pour continuer à
faire par moi-même. Consciente et confiante dans ma force vitale. Elles n’ont
plus continué dès lors à me modeler, je leur échappais avec tant d’audace. Mais
j’emmenais avec moi les paroles de mon père pour apprendre à être femme : qu’importe que l’on aime une minute, trois
heures, six mois, dix ans, si à l’instant où l'on aime, c'est pour l’éternité.
Alors j’ai aimé et j’ai continué à grandir. Toujours de la manière que je savais : en prenant des hommes qui pouvaient sur moi étendre tous leurs pouvoirs. Comme je leur ai été infidèle pour rester fidèle à moi-même ! Comme je les ai trompés pour ne pas me tromper. Mais aussi, comme j’ai eu du plaisir à devancer leur désir et leur donner le sentiment qu’ils me possédaient totalement !
Car au fond de moi, je me suis nourrie d’eux pour me construire, me sonder, connaître mon pouvoir réel. J’ai toujours agi comme je le décidais, en faisant ce que je voulais. J’ai toujours volé librement dans tous les horizons possibles, en confrontant mes sensations, en ne gardant que celles qui me rapprochaient toujours plus de moi.
Mais sans oublier d’être soigneusement dévouée à être dirigée selon la volonté de l’autre, en tout cas de donner ce sentiment… de puissance, sur moi-même.
Au cours de ces dernières années, je me suis acharnée à faire vivre une histoire d’amour qui était morte depuis trop longtemps. Parce que dans cet enjeu, dans ce défi extrême, j’ai pu me retrancher dans ma chrysalide pour élaborer seconde après seconde ma vérité, mon authenticité. Comme un travail de fourmi qui connaît l’aboutissement, le but à atteindre, l’identité précise à révéler.
Tout à l’heure, j’étais en colère, dans une grande douleur,
avec dans les tripes une peur sans limite.
Maintenant je m’apaise doucement. J’écris ces mots et je
dessine en noir sur blanc cette toute puissance que j’ai en moi et que j’ai
soigneusement dissimulée par l’intermédiaire des autres…
Et je me libère car je la regarde voler en éclat. A quoi me
sert-elle à ce jour, alors qu’elle laisse mon sein s’envahir de petits cristaux
néfastes ? Quel mensonge veut-elle encore me faire croire alors que je ne peux
même pas agir sur ma chair !
Mon corps me parle. Je l’entends enfin. Et je vais le
soigner, le guérir, mais certainement pas avec mes pensées fulgurantes. C’est
un leurre. J’accepte que les mains qui m’entourent, viennent me prendre et
enlèvent toute cette noirceur, ces salissures que j’ai amoncelées.
Si pour cela, la médecine doit faire une intrusion
supplémentaire, découper les mauvaises cellules, laisser sur ma poitrine une
cicatrice, un dénivelé, un creux, une plastie imparfaite, je l’accepte
maintenant. Cela n’atteindra jamais ce que je suis, mon essence.
Et je prends le courage d’écrire ces mots, de les faire lire, de les montrer à vous qui me lisez.
Je ne suis pas toute
puissante.
Je ne suis pas
surhumaine.
Je ne peux rien contre
cette hypothèse de petit cancer qui s’insinue dans la marque de ma féminité intime.
Je suis simplement
mortelle et perfectible.